2016 |

Juin 2016

La diversité comme marqueur de la temporalité de la ville

La diversité comme marqueur de la temporalité de la ville

1er-2 juin 2016 - Colloque

Présentation

La conférence de l'International Students of History Association (ISHA) de juin 2016 sera axée sur la question de la temporalité de la ville par l'approche de la diversité comme outil d'analyse. Notre argumentaire s'inspire de la sociologie de la ville ainsi que de travaux contemporains sur le renouvellement urbain et son influence sur « l'habiter ».

Dans « Urbanism as a way of life », Louis Wirth (1938) propose une définition de la ville comprenant des critères spatiaux, sociaux, temporels : un espace relativement important et dense, habité et occupé de manière permanente par des groupes et des individus aux caractéristiques hétérogènes. Jacques Lévy (2003), dans sa définition de la diversité, indique qu'elle est comprise comme le « rapport entre le niveau d'hétérogénéité des réalités coprésentes dans un espace donné et celui existant dans un espace englobant qui sert de référent ». Il reprend ensuite les concepts de Wirth pour donner trois catégories de diversité : la composition en groupes sociaux, les activités productives et les fonctions. Les fonctions de la ville sont définies par la combinaison des relations entre la composition sociologique et les activités avec lesquelles elle est en lien (Marcel Roncayolo, 1990). La ville n'est alors plus seulement considérée compte tenu de son aspect physique ou sociologique mais bien dans la production d'un espace diversifié par rapport à l'espace de référence qui l'englobe. Cet argumentaire pose de nombreuses questions tout autant qu'il ouvre de nombreuses portes.

Le principal problème que soulève cette définition est sa portée pratique : comment observer, comment mesurer la diversité ? Lévy propose de se concentrer sur deux phénomènes : la coprésence et les interrelations. Un territoire divers serait un espace sur lequel de nombreux groupes et de nombreuses activités coexistent et sont plus ou moins en relations entre-eux. La fonction de ce territoire peut se lire en mesurant les activités par l'orientation de leurs productions (vers le territoire en question ou vers l'extérieur). La coprésence d'individus, de groupes et d'activités hétérogènes n'induit pas nécessairement la formation de relations et donc de diversité. Un espace peut se caractériser par une immense densité d'activités sans que celles-ci ne soient reliées.

En considérant cela, plusieurs pistes sont envisageables. La composition physique du territoire, par la stratification des époques, des fonctions, des activités et des groupes qui les ont habités, impose de porter un regard à la fois historique sur ce qui compose l'urbain mais aussi une analyse diachronique de l'occupation de ces espaces. La ville moderne met en avant les fonctions économiques (Halbwachs, 1938), jusqu'à créer des places financières qui ne forment plus une ville au sens sociologique, mais une zone comportant une activité quasi-unique (La Défense, La City, Syllicon Valley). L'urbain porte en lui les traces de ces espaces qui ont eu, à une époque, une vocation monofonctionnelle. Il s'agit donc de distinguer, à l'instar de Magnaghi (Alberto Magnaghi, 2000) entre métropole et grande ville, l'urbain de la ville à partir de leur composition et de leur fonction. La ville serait une composante plus hétérogène de l'urbain, mêlant des activités et des fonctions diverses en une combinaison propice à favoriser différentes formes de diversités en un même espace.

Les villes européennes, par la coprésence de multiples formes d’habitats et d’activités, présentent une diversité plus forte dans leurs centres-villes que dans leurs banlieues et zones péri-urbaines. La présence concomitante de fonctions politiques, religieuses, commerciales ou résidentielles dans des villes qui accueillent à la fois des populations de plus en plus aisées et des populations précarisées concentrées dans certains quartiers (par choix politique ou permanence de l’insalubrité) entraîne les conditions d’une potentielle diversité. L'analyse des relations, des échanges, des espaces de rencontre, permet au chercheur de rendre compte dans le temps de la réalisation de cette potentialité.

Axe 1 : Méthodologique : Comment observe-t-on la diversité ?

La principale difficulté de l'argumentaire déployé ci-dessus est son application concrète. Comment procéder à l'observation et à la mesure de la diversité d'un territoire à partir de catégories spatiales et temporelles ? En suivant notre propos, une possibilité consisterait à faire la comparaison, sur critères prédéfinis, de la diversité observée sur un espace et celle observée sur l'espace plus globale qui l'enserre. Cela se résume à analyser la différence des hétérogénéités territoriales. Il semble cependant plus pertinent d'introduire les notions de coprésences et de cospatialités qui renvoient à l'étude des relations entre les éléments qui composent le territoire (Lewis Mumford, 1960).

De plus, ces relations évoluent avec la transformation du rôle des acteurs et des modes de productions, ce qui entraîne une mutation de la ville qui est plus ou moins visible. Cette transformation peut potentiellement diminuer la diversité d'un espace relativement à l'espace qui le comprend. Assiste-t-on alors à un déplacement de la ville ? Peut-on expliquer ce phénomène par la métaphore des vases communicants ou est-ce un déplacement visible sur le territoire par la reconversion progressive des espaces adjacents ?

Axe 2  : Patrimonialisation, rénovation et diversification de la ville

Dans l’avant-propos de son ouvrage Lectures de ville, Marcel Roncayolo (2002),  rappelle que le temps de la ville est pluriel (fabrication, usages, pratiques) et que celle-ci évolue à des rythmes syncopés et dans des temporalités différentes. La patrimonialisation est une de ces pratiques qui joue avec le temps de la ville : elle tente de le figer en certains lieux. C’est une activité primordiale, car elle donne sens à la ville en rendant visibles différentes strates temporelles par une diversité architecturale plus ou moins importante. Mais cette diversité esthétique produit aussi souvent une homogénéité sociale par la gentrification qui l’accompagne (Hovig Ter Minassian, 2012). On peut alors se demander s’il est possible de comprendre la coprésence d'architectures de différentes époques comme une marque de toutes les diversités ? En parallèle de la patrimonialisation, une autre activité qui joue avec le temps de la ville : la rénovation urbaine. Cette dernière cherche à actualiser la ville, à la rendre plus adaptée au temps présent. Les opérations de rénovations urbaines qui ont lieu aujourd’hui partent du constat de l’échec du fonctionnalisme. Contourner le fonctionnalisme a été en premier lieu une entreprise théorique, menée d’abord par François Choay (1980) qui souhaitait redonner place à l’histoire, aux mots et aux symboles dans l’étude des villes. Celle-ci a ensuite basculée dans le domaine pratique. On peut le voir par exemple avec Magnaghi (2000) qui dans le projet local critique le statut de résident qui nous est conféré par les métropoles au profit de celui d’habitant, c’est-à-dire un individu impliqué dans son échelon local. Si ces deux auteurs n’évoquent pas la diversité, leurs réflexions peuvent nourrir nos questionnements sur la création de la diversité. Les politiques publiques sont-elles en mesure de créer des formes architecturales et urbanistiques qui font ville, où ne peuvent-elles produire que de l’urbain ? Commet contourner le fonctionnalisme sur le terrain et réinjecter de la diversité dans les espaces qui en sont dépourvus ? Enfin, est-il possible de recréer de la diversité en proposant un mode d’habiter différent et peut-être par des politiques publiques renouvelées, moins top-down et plus bottom-up, à l’échelle locale, comme le propose Magnaghi.

Axe 3 : La diversité des villes et les formes de l’habiter: villes éphémères, villes utopiques, villes nomades

La définition de la ville comme un habitat a été proposée par Max Weber (1921). Cette notion a été utilisée pour décrire la ville et le territoire depuis différents regards : géographiques, sociologiques, historiques, et philosophiques (Paquot et al, 2007). A partir du moment ou les villes sont fondées, elles deviennent une utopie, un mythe, elles nourrissent l’imaginaire urbain et concentrent les rêves, les attentes et les souhaits de leurs habitants. Les événements historiques comme les guerres et les catastrophes naturelles - tremblements de terre, incendies, ou tsunamis -, ont pu avoir des conséquences importantes sur la configuration urbaine. Le paysage de la ville peut changer radicalement, elles peuvent être ruinées et complètement reconstruites sur le même emplacement, démontrant ainsi leur résilience. Dans d'autres cas, les villes ont pu être déplacée et refondées ailleurs (Alain Musset, 2002). Mais la diversité des villes ne peut pas être tout simplement attribuée au hasard. Les politiques publiques jouent un rôle fondamental sur transformation constante des villes et leurs fonctions. Les limites de la ville s’élargissent, les frontières entre les différents quartiers se confondent avec les nouvelles frontières urbaines. La localisation des logements sociaux, le prix du loyer, la définition de zones prioritaires, entre autres, marquent l’hétérogénéité mais parfois aussi la ségrégation socio-spatiale. Néanmoins, les habitants ne sont pas toujours muets et inactifs, ils peuvent tenter de prendre leur « droit à la ville », changeant par leurs actions le paysage urbain avec la création d'activités au-delà de la seule habitation : loisirs, commerce, lieux artistiques....

Cet axe se concentre sur une approche simultanée de la diversité des villes et de la diversité dans la ville. Si à l'échelle d'un quartier, la ville peut connaître une forte hétérogénéité de son activité et de son habitat, cette diversité peut se déplacer, se mouvoir dans le temps et dans l'espace. De ce fait, la ville, dans le cadre où elle est le lieu de la diversité, peut se déplacer, changer et muter. La ville n'est pas figée, ni fixée à un territoire bâtit particulier. Mais alors, comment peut-on analyser les mouvements de la ville ? Peut-on prévoir son déplacement ? Comment distinguer la ville – selon la définition que nous avons développée plus haut -, de l'habiter ?

Version anglaise

Comité organisateur : Alexandre Faure (CRH-EHESS), Cédric Gottfried (CNAM-ICOMOS France), Alexandra Leonzini (Freie Universität Berlin), Sofia Perez (CRH-EHESS), Clara Peterlik (Sciences Po), Séveric Yersin (Université de Lausanne) et Lilla Zámbó (CRH-EHESS)

Contact : isha.paris.ge@gmail.com

Programme

Lieu

1er juin de 9h30-11h
Salle des Malassis,
36, rue Pierre et Marie Curie
93170 Bagnolet

1er juin de 14h30-16h
Salle du Bureau d'information Jeunesse
60, rue Franklin
93100 Montreuil-sous-Bois

2 juin de 9h-12h
EHESS
Amphithéâtre François Furet
105, boulevard Raspail
75006 Paris

Pour citer ce document

, «La diversité comme marqueur de la temporalité de la ville», CRH [En ligne], Juin 2016, Le CRH, Histoire du CRH, Événements (2013-2016), 2016, Événements scientifiques (2013-2016),mis à jour le : 18/06/2020
,URL : http://crh.ehess.fr/index.php?5066.
EHESS
CNRS

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