2016 |

Juin 2016

Manières de lire : sources, supports, pratiques

Manières de lire : sources, supports, pratiques

7 juin - Journée d'étude du GRIHL

L’interrogation sur les manières de lire est l’un des chemins privilégiés de l’histoire de la lecture. Elle demeure l’un de ses chantiers les plus vastes, notamment du fait des difficultés posées par la documentation mobilisable pour saisir les pratiques de lectures du passé. A l'occasion de la venue de Goeffrey Turnovsky à l'EHESS, le GRIHL propose de revenir sur ces problèmes à l'occasion d'une journée en présence de Roger Chartier (discutant), autour de quatre axes de questionnement :

1)        « Archives de lecture » et « lecteurs ordinaires »

Toute une part de l’histoire des pratiques de lecture a tenté de faire émerger des « archives », des traces réelles de lectures effectives, afin de ne pas s’en tenir aux usages postulés des imprimés, reconstituables à partir des indications textuelles ou paratextuelles, et des diverses procédures de mises en livre. On cherche des traces tangibles de lectures effectives menées, si possible, par des lecteurs sans qualité, des « lecteurs ordinaires ». On sait tout ce que ces catégories ont de problématique : qu’est-ce qu’un lecteur ordinaire ? Désigne-t-on ici un ensemble de caractéristiques sociales ou socio-professionnelles (une extériorité au monde de l’imprimé, par exemple, ou au métier d’écrire ?) ou des manières de lire (qui peut faire du critique le plus aiguisé un lecteur « ordinaire »), - désignations des modes de lecture (« simple », « ordinaire », « non spécialisée », « lisante », etc.) elles-mêmes susceptibles d’être historicisées.

Qu’est-ce qu’une trace ou une archive de lecture ? Dans la grande majorité des cas, il s’agit d’écrits. Or, ces écrits sont avant tout des actions d’écriture en situation (lettre de lecteur, « journal » personnel, correspondance, marginalia ou encore recueil de notes tels que les lieux communs), qui doivent être appréhendées en tant que telles, notamment comme des gestes « en direction » de la littérature (comme institution, valeur, forme d’écriture identifiée comme telle), ainsi que, souvent, des gestes de présentation de soi. Il ne s’agit pas de remettre en cause, brutalement, la notion d’archive de lecture, mais de se demander ce qu’est une lecture qui se saisit comme une action d’écriture. Archives de lecture/actions d’écriture, il est peut-être temps de revenir sur cette tension majeure, que le travail du GRIHL sur « écriture et action » contribue à renouveler.

2)        L’implication du lecteur : questions théoriques, perspectives historiques

La question de la relation du lecteur à ce qu’il lit – ce qui est susceptible de se passer au cours de l’activité de lecture, ou ce que celle-ci peut faire à celui qui la mène – a été depuis quelques années l’objet d’une attention théorique nouvelle, principalement centrée sur les dynamiques cognitives et affectives impliquées. La relation émotionnelle à ce qui est lu est l’objet de multiples analyses visant à mettre en évidence les mécanismes d’empathie, d’identification, d’immersion ou encore d’engagement corporel mobilisés au cours de la lecture, de littérature en particulier. Toutefois, le fonctionnement de ces processus est plus souvent postulé que saisi concrètement, dans une oblitération des situations effectives de lecture et des formes d’existence matérielle des écrits. Nous proposons d’opérer une mise en perspective historique de ces questions qui permette, d’une part, de s’interroger sur les relations, effets ou affects considérés dans les contextes variables de lectures situées (par exemple à partir des écrits de lecteurs évoqués plus haut) ; et d’autre part, de mettre en évidence la dimension elle-même historiquement située de ces analyses de la lecture. Les différents modèles élaborés pour parler de la lecture (identification, incorporation, lecture intensive/extensive, lecture de la sphère publique/du for privé etc.) ont une histoire, notamment comme objets théoriques développés ou débattus dans des contextes qui varient dans le temps. Certaines de ces pensées de la lecture sont bien connues, tels les théories de l’identification, ou le discours physiologique sur les dangers de l’absorption romanesque ; d’autres sont encore à explorer, telle l’idée d’application. Surtout, on s’intéressera aux enjeux sociaux et politiques de l’apparition et de la mobilisation des modèles en question – une réflexion qui peut d’ailleurs être étendue à la vogue que rencontre aujourd’hui en France une vision empathique et éthique de la lecture littéraire.

3)        Technologies du lire : des supports et des pratiques en évolution

Une troisième ouverture est de penser à la technologie, notamment à partir d’un moment culturel, le nôtre, dominé par l’idée de grands changements entraînés par la numérisation ; le « e-reader » et le déclin annoncé des formes traditionnelles de lecture imprimée : recul de la presse sur papier, multiplication des formes imbriquées de lecture et d’écriture sur le web, etc. Mais que regrette-t-on quand on regrette la disparition de la lecture de l’imprimé ? Existe-t-il vraiment quelque chose comme une lecture typographique ? Ce que vise en général cette déploration, c’est le recul supposé de la lecture individuelle et silencieuse d'un ouvrage de fiction, modèle de lecture qui s’est trouvé investi de qualités morales : lecture sérieuse, profonde, continue (i.e. non-distraite, non-interrompue), et qui peut contribuer à l’élévation personnelle du lecteur, alors que les formes numériques, électroniques sont supposées avoir l’effet contraire : la désintégration, la fragmentation, la distraction… On sait pourtant que la lecture de l’imprimé recouvre une pluralité de pratiques, la plupart ne correspondant pas à cet idéal moralisé que représente « la lecture » aujourd’hui. Au-delà de la nostalgie pour les belles heures de l’imprimé, on tentera aussi de faire apparaître des continuités au sein même des mutations techniques : le développement de la technologie de l’imprimé au XVe siècle visait des manières de lire et des attentes formées par la culture manuscrite de l’époque ; les critiques de la presse et de la librairie au XIXe siècle étaient fort préoccupés des effets des mutations des supports sur les manières de lire, etc.

4)     Normes, prescriptions, apprentissage

La pédagogie de la lecture possède une histoire qui peut être examinée à partir des instruments qu’elle a suscités (manuels, méthodes, cahiers de notes, etc.), et des objets divers qu’elle recouvre. L’activité didactique s’accompagne aussi souvent de la constitution d’un discours moral qui investit la lecture d’un rôle de formation ou de transformation de celui qui lit ; à la Renaissance, par exemple, la lecture du texte biblique (en contexte protestant) ou du livre édifiant tend à l’exercice de soi. Prescriptions et pratiques effectives, pour autant qu’il en reste des traces, pourront être confrontées. Par ailleurs, l’expansion du marché des livres est concomitante d’un discours de méfiance, volontiers normatif et censeur, qui débouche aussi sur des productions visant à cadrer les lecteurs, en les guidant, les formant, ou en leur fournissant de « bonnes » lectures. C’est bien du reste au livre religieux qu’est largement due cette expansion et notre réflexion pourra aussi être l’occasion de réinterroger l’association courante du développement des pratiques de lecture à la sécularisation et à la constitution d’un sujet libre.

Organistratices : Mathilde Bombart :mathilde.bombart@univ-lyon3.fr, Audrey Duru :audrey.duru@u-picardie.fr et Judith Lyon-Caen :jlc@ehess.fr*


Programme

Lieu

EHESS
Salle 7
105, boulevard raspail
75006 Paris

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Pour citer ce document

, «Manières de lire : sources, supports, pratiques», CRH [En ligne], Le CRH, Histoire du CRH, Événements scientifiques (2013-2016), Événements (2013-2016), 2016, Juin 2016,mis à jour le : 13/06/2016
,URL : http://crh.ehess.fr/index.php?5064.
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