Présentation

Le programme de recherche interdisciplinaire (PRI) « Empires » réunit les enseignants-chercheurs de l’EHESS, spécialistes des empires, à analyser de manière comparatiste les différentes formations impériales dans diverses régions du monde. Dès sa mise en route, si le conseil scientifique l’agrée, il pourra inviter des chercheurs appartenant à d’autres établissements. Il s’agit d’un programme qui saisira le modèle impérial et ce qui le distingue en tant qu’unité politique ou formation spatiale de l’État-nation unitaire et souverain (réalisé ou rêvé) du XIXe siècle. Toutes les formations politiques qui reposent sur l’exercice d’une autorité sur des territoires et des populations divers avant la formation des États-nations peuvent entrer dans la catégorie impériale. Néanmoins, quels critères adopter pour mieux saisir l’unité politique qu’est « l’empire » du point de vue des sciences sociales ? Les espaces impériaux et leur expansion extensive par les conquêtes militaires ou bien l’expansion intensive à travers l’influence culturelle et la médiation des institutions permettront non seulement d’appréhender la diversité des pratiques administratives et juridiques propres à chaque empire, mais encore de pouvoir dégager des traits communs qui les relient en tant qu’objets d’étude des historiens. Le PRI repose sur la participation des spécialistes des empires romain, byzantin, iranien, ibériques, russe, ottoman, Inca, du Saint-Empire, de la Chine Qing, de l’Inde Moghole et du Japon autant qu’il permet de saisir l’expansion maritime et terrestre des empires européens aux Amériques, en Afrique et en Asie.

L’approche que souhaite développer le PRI consiste en une analyse des thèmes transversaux afin de transcender les contraintes imposées par des historiographies singulières à chacun des empires et leur espaces – souvent appropriés ou déshérités dans le cadre des États-nations et par le biais du nationalisme depuis le XIXe siècle ou bien incorporés dans des « aires culturelles », divisions artificielles issues de la vision géopolitique contemporaine. Le PRI s’investit notamment dans la formulation des problèmes communs qui seront abordés de manière synchronique et diachronique. Les débats historiographiques des empires concernés, les usages et des langues vernaculaires dans lesquels les archives sont préservées aussi bien que des approches théoriques des sciences sociales nous conduisent à appréhender les modalités des normes, des formes et des pratiques d’organisation impériale. Notre objectif est de renouveler la réflexion autour des empires en appréciant les moyens et les outils de comparaison rendus possibles par d’autres sciences sociales : anthropologie et sociologie historiques, économie politique, histoire comparée du droit, autant qu’en puisant des systèmes de savoir, des doctrines religieuses et des dogmatiques juridiques propres à chacun des espaces impériaux.

Dans quelle mesure les empires rendent-ils possible la cohabitation des populations de grande diversité sous l’autorité impériale et leurs administrations ? Sur quels types de savoir et de savoir-faire professionnels reposent les activités de gestion quotidienne ? Il s’agira d’examiner ces problèmes de manière croisée entre les systèmes juridiques, les institutions et les pratiques au niveau impérial comme local afin de saisir la pluralité des expériences des groupes, des communautés et des individus liés par diverses appartenances religieuses, sectaires ou raciales.

Notre constat est que tous ces aspects invitent à réfléchir sur la difficulté de décrire un objet aussi complexe que l’empire. Les questions politiques sous-tendent le domaine des études impériales car les enjeux méthodologiques sont de double nature. D’une part, l’expérience récente des nationalismes se heurte souvent à la description précise des empires, en particulier à la façon dont les acteurs eux-mêmes en décrivent les institutions et imaginent les fondements. Mais d’autre part, la théorie politique qui s’impose de nos jours prend « l’État moderne » en tant que forme par excellence de l’unité territoriale qui entend homogénéiser les populations en son sein. Le PRI offrira alors un espace de discussion où se déploiera une analyse théorique des catégories politiques, et une étude empirique des techniques de gouvernement, des flux d’information et des circuits de commandement aux échelles différentes dans les empires. Cette démarche entend mettre en mouvement le cadre méthodologique indispensable à la conduite de ce travail collaboratif, afin d’opérer dans une écriture partagée l’agrégation des savoirs empiriques.

Au sein de l’École, le PRI se propose donc de constituer un espace de débat et de réflexion autour des empires, des formations impériales et leurs effets sociaux, politiques et institutionnels dans un vaste ensemble de régions du monde. Les membres du programme souhaitent réunir des compétences adossées à une pratique de l’enquête de première main et résultant de l’acquisition des capacités à aborder les singularités vernaculaires de chaque région. Le programme inclura la participation de nombreux collègues de ses centres, mais aussi des collègues spécialistes des espaces impériaux enseignant dans d’autres établissements. En ce sens, l’ambition de ce projet est de devenir un laboratoire de réflexion sur les empires sans équivalent pour l’heure dans le paysage scientifique français.

 

 

 

Falk Bretschneider (CGS-EHESS)

Anna Joukovskaïa (CERCEC-CNRS)

Naveen Kanalu Ramamurthy (CRH-EHESS)

Jean-Frédéric Schaub (CRBC-EHESS)