2017 |

Juin 2017

Propriété et environnement dans les pays en développement

Propriété et environnement dans les pays en développement

7 et 8 juin - Colloque international ANR GOVENPRO

Présentation

La question de savoir quelles sont les formes de propriété qui participent le plus efficacement à la conservation et/ou à l’exploitation économique des environnements – de la propriété privée à la propriété d’État, en passant par les différentes formes de propriété collectives, communes ou patrimoniales a suscité des débats théoriques intenses et disputés dans le champ académique (Coase 1960; Hardin 1968; Ostrom 1990). Nous proposons d’embrasser toutes ces théories par le terme – théories environnement/propriété – et d’étudier leur déploiement dans les pays en développement dans la construction de ce qu’on peut appeler des « régimes de ressources » (Vatn 2007, 2015). Nous gageons en effet que loin de s’être imposées de manière monolithique aux cours de phases successives, ces théories ont été mises en œuvre de manière très pragmatique par toute une série d’acteurs nationaux et internationaux pour tenter de les adapter aux usages locaux des ressources naturelles mais en ignorant souvent les conceptions locales de l’appropriation et de la mise en commun.

Ce phénomène a conduit à un réagencement de la propriété qui ne doit pas être seulement compris comme une tendance générale et uniforme à la privatisation de la nature. Durant la période coloniale, par exemple, l’enjeu est certes l’appropriation des ressources par les colons (l’emprise foncière des concessions agricoles, forestières ou minières est extrêmement importante dès les années 1920), mais bien plus encore la montée en puissance de l’Etat, la constitution d’un Domaine public colonial, la création des services techniques, qui visent tous à transformer les modes d’exploitations indigènes de la nature au nom du développement alors appelé « mise en valeur » (Thomas 2009 ; Chouquer 2011). De même, la dénonciation du land grabbing comme une nouvelle forme de colonisation et de privatisation des terres par des firmes étrangères (Merlet 2010 ; TNI 2013) oblitère la nature juridique de ces contrats souvent tripartites entre des bailleurs internationaux, des investisseurs privés et des Etats propriétaires fonciers qui affirment tous, plus ou moins (mal)honnêtement, agir dans l’intérêt des populations locales et du développement économique du pays (Holmen 2015 ; Chouquer 2011). D’autres formes plus insidieuses d’accaparements fonciers consistent à reconnaître des droits “coutumiers” pour gager cette reconnaissance au maintien de pratiques traditionnelles jugées favorables à la conservation des milieux : c’est la logique des programmes de paiement pour services environnementaux – ou PSE (Kosoy and Corbera 2010). On les voit aussi à l’œuvre dans les programmes de développement financés par des grands bailleurs, comme la Banque mondiale. Les prêts sont alors conditionnés à des mesures dites de compensations environnementales à l’origine de la constitution de nouvelles emprises foncières à vocation de conservation de la nature (Benabou 2014). Les grandes conventions internationales sur le climat, la biodiversité, la mer, le traitement des déchets... véhiculent aussi de profondes recompositions de la propriété dans les pays du Sud. L’octroi de vastes concessions à des opérateurs privés s’appuie de plus en plus sur la capacité des acteurs les mieux dotés en capital à répondre aux engagements environnementaux internationaux, à se conformer aux standards dans les processus de production et de “reporting” que ces engagements réclament. Ces mécanismes sont particulièrement visibles dans l’octroi de concessions marines et de droits de pêche qui, adossés aux standards d’exploitation durable des ressources halieutiques, ont de très forts effets d’exclusion des petits opérateurs locaux (Dahou, Elloumi, and Molle 2013).

Ces grandes conventions environnementales incitent aussi les Gouvernements à définir juridiquement qui sont les ayants-droits traditionnels d’une ressource à partir des usages coutumiers des ressources locales. L’objectif est d’en faire des parties (personnes morales, individuelles ou collectives) dans des contrats de conservation de l’environnement (contrats d’accès et de partage des avantages, REDD+, paiements pour services environnementaux, etc.). Les États leur reconnaissent donc de nouveaux titres qui viennent bouleverser des arrangements plus anciens d’appropriation des ressources naturelles (Thomas 2012, 2014 ; Clement and Amezaga 2013 ; Dahou 2013). Mais, dans un contexte où le droit à l’accès devient plus important que le droit d’exclure (Rifkin 2000 ; Joly 2009), ces contrats consistent plus à ouvrir l’accès des ressources locales à des usages globaux qu’à en réserver l’accès aux populations locales. Il faut par conséquent repenser la propriété comme un « faisceau de droits », et replacer le gouvernement de l’environnement par la propriété dans le champ plus vaste des relations sociales qui contraignent ou permettent de bénéficier de l’usage des ressources (Ribot and Peluso 2003 ; Silva-Castaneda et al., 2014). Dans cette perspective, l’accaparement réfère essentiellement à un « accaparement du contrôle » (control grabbing), c’est-à-dire à un processus de captation du pouvoir de contrôler le foncier et les autres ressources associées telles que l’eau, les minéraux ou les forêts, afin de contrôler les bénéfices liés à leurs utilisations (McCarthy, Vel, and Afiff 2012). Les formes de propriété développées dans les situations post-collectivistes sont, de ce point de vue, particulièrement intéressantes à analyser. Elles ne produisent pas forcément les mêmes rapports entre propriété, individu et Etat que ceux des démocraties libérales (Verdery 1998). La propriété ne peut donc manifestement pas y jouer le même rôle incitatif dans les politiques de conservation que celui que la théorie standard prédit.

Cependant, si l’on perçoit bien l’importance du phénomène et sa diversité (d’objets et d’échelles), on ne dispose pas de travaux académiques qui permettent d’établir sérieusement une filiation entre les théories environnement/propriété et la succession de modes de gouvernement de l’environnement dans les pays en développement. La périodisation très grossière en trois temps (l’âge de la conservation par la propriété d’Etat et l’extension du domaine public ; l’âge du salut par la propriété privée exclusive ; l’âge du retour à la gestion communautaire) n’est pas satisfaisante. Elle ne permet pas de rendre compte, pour chaque période de l’histoire nationale d’un pays, des diverses manières dont ont pu s’articuler dans le temps les modes d’appropriation privilégiée par ces théories, ainsi que les usages complexes de ces arguments théoriques dans chaque contexte économique, social et culturel. Il est nécessaire, en la matière, de repartir de l’analyse des réalités empiriques de terrain.

Partant de ces constats, le colloque « Propriété et environnements dans les pays en développement » se propose de réunir pour la première fois des spécialistes d’histoire environnementale, d’économie environnementale, d’anthropologie environnementale, de droit de la propriété, etc., pour porter un regard global sur le déploiement des théories environnement/propriété dans le cadre des pratiques de gouvernement des ressources et des environnements dans les pays en développement. Il vise à stimuler de nombreuses communications en vue d’éclairer et de documenter les objectifs suivants :

  • 1. Avoir une meilleure vision de l’histoire de la diffusion de ces théories et des formes de propriété qu’elles privilégient dans les politiques environnementales des pays en développement. Qui sont les principaux acteurs internationaux, quels sont les appuis locaux, quelles sont les sources de cette histoire, etc. ?

  • 2. Confronter ces cadres théoriques et les outils internationaux de leur promotion à la réalité empirique de différentes formes de propriété dans ces pays. On sera particulièrement attentif à rendre compte de la diversité des manières dont les pays du Sud articulent, dans leur tradition juridique et administrative, les grandes catégories propriété privée, domaine public, droit coutumier, patrimoine et propriété collective.

  • 3. Etudier l’impact de la mise en œuvre de ces théories dans les situations de transition vers l’économie de marché. Quelle est l’économie politique de la propriété dans ces situations de transition (notamment dans les situations de post-socialisme) ? Quels sont les effets observables en terme de conservation de l’environnement ?

  • 4. Etudier la dialectique entre la contraction effective de la propriété collective et des droits collectifs dans la gestion de l’environnement et les discours promouvant le «community- based management», les biens publics mondiaux, les valeurs patrimoniales ; 5. Rendre compte de la diversification des domaines/objets auxquels les théories environnement/propriété sont appliquées : des plus territorialisés (comme les droits fonciers, la domanialité, les mécanismes REDD, les paiements pour services environnementaux, etc.) ; aux plus dématérialisés (comme les nouvelles formes d’appropriation des ressources et informations génétiques, les droits des communautés autochtones et locales sur les savoirs traditionnels, etc.).

Comité d'organisation :
Frédéric Thomas, Sarah Benabou, Tarik Dahou (PALOC, IRD-MNHN) ; Fabien Locher (CRH, CNRS-EHESS), Valérie Boisvert (Université de Lausanne)

 

Programme
Version anglaise

 

Lieu

Muséum national d'histoire naturelle
Auditorium de la grande galerie de l'évolution
36, Rue Geoffroy-Saint-Hilaire
75005 Paris

Pour citer ce document

, «Propriété et environnement dans les pays en développement», CRH [En ligne], 2017, Juin 2017, Événements scientifiques (2017-2024), Actualités (2017-2024),mis à jour le : 24/05/2017
,URL : http://crh.ehess.fr/index.php?5682.
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